arrêt sur image

Balade balkane
Du 15 septembre au 1er décembre 2022
78 jours
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Car c'est l’occasion de revoir mon ami Claude Beaudemoulin qui a fait le déplacement et de découvrir cette édition du festival de photos.

Bon je vais être cash, ce n’était pas l’éclate absolue. Je ne parle pas de Claude évidemment, mais du festival !

Cloclo dans toute sa décontraction ! 

A part l’affiche extra (en dessous, les deux gars sur la moto) et Babette Mangolte qui photographie la danse contemporaine dans les années 70, en fixant le mouvement de manière à nous faire oublier qu’on regarde une photographie.

Photo de Babette Mangolte et visuel de l'affiche du festival

Et puis aussi sans doute le travail d’une jeune plasticienne (Léa Habourdin) qui parle de la fragilité des forêts en proposant des images qui palissent à la lumière du jour. Manière que j’ai trouvé très poétique de traiter un sujet préoccupant.

Léa Habourdin - Forêts 

A part ça, j'ai trouvé que le festival manquait un peu d’images qui parlent d’elles mêmes, de celles qui n'ont pas besoin d'explication sociologique pour expliquer le sens ou la cause qui est derrière (écologie, féminisme,...). Et je trouve ça un peu dommage.

En plus le "off" ... était vraiment off ! Petite querelle entre chefs à plumes, semble-t-il, et du coup il a été annulé.

Prochain post, sans doute en Italie, ou en Croatie je vous confierai un truc très important concernant Roger. D'ici là, portez vous bien 😊

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Un ciel bleu uni depuis la côte d’azur que j’ai quittée hier matin.

La grande maison qui m'accueille, un ancien pensionnat du XIXè, offre une vue sur le lac et les Alpes derrière. Daniela, mon hôte, a vécu en Suisse, heureusement car mon italien est aussi risible que le petit chat noir qui m’a vite fait comprendre que j’étais surtout chez lui.

J’apprends que cette ville balnéaire est là où a été tourné le film de Pasolini en 1975, 'Salo ou les 120 journées de Sodome'. Je me souvenais que Pasolini avait été assassiné pour ses idées anti fasciste, j’avais oublié que c’était après ce film, deux mois avant sa sortie en salle à Rome.

De ce tournage, de Pasolini, aucune trace dans cette paisible ville, du coup j'écoute le podcast de France Inter, faute de pouvoir voir le film.

Extrait du film "Salo ou les 120 journées de Sodome", de Pasolini

Demain, départ pour Venise. Décidemment encore un clin d'oeil à Sade 😉

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Pour ceux qui ont regardé ma petite intro, vous savez qui est Roger. C'est le compagnon rêvé pour ce voyage, expérimenté, accueillant (on peut y dormir), autonome, robuste avec un petit look de gros dur comme je les aime. Je l'ai trouvé sur un site spécialisé, dont je ne vous donnerai pas, chèr(e)s ami(e)s, l'adresse, non pas pour vous contrarier, mais parce que ce serait leur faire une mauvaise pub tant ils ont été ... nuls. Explication : en mai dernier, le propriétaire de Roger s'est fait exclure du site en question pour ne pas avoir respecté je ne sais quelle clause de la charte. Croyez vous que le site m'a alors contacté pour m'informer du problème ? Non, pour eux, il y a encore 10 jours, la réservation était ok et Roger m'attendait sagement. J'ai dû leur transmettre le mail du proprio que j'avais contacté entre temps pour qu'ils comprennent leur bourde.

Bref, quelques heures pour amortir le choc. Et puis ... et puis il m'en fallait un peu plus pour baisser les bras à 10 jours du départ. Pas de Roger, qu'à cela ne tienne, je ne dormirai pas dans Roger (ça commence à devenir chaud ce post, non 😉), et donc davantage chez l'habitant.

Et puis autre aspect positif de me retrouver avec une tite peugeote toute banale mais à la pointe de la technologie ; moins bruyante/polluante, plus facile à garer et puis elle m’avertit, la bougresse, chaque fois qu’un radar se profile à l’horizon, ce qui me fait sans doute faire de substantielles économies..

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J'ai quitté le lac de garde vers l'est en traversant la Vénétie et ses petits villages, proprets et austères parfois. Des gens discrets et serviables, mais pas d'effusion et après 20h il ne se passe plus grand'chose.

Je rentre dans l'Eglise de Torre di Mosto, sans doute quelques mauvaises pensées à confesser et en sortant mon regard tombe sur ces petits avis de décès, punaisés.

C'est triste évidemment, d'autant qu'ils sont jeunes. Mais je souris quand même de la sensualité de cette langue, même (ou surtout) quand le pathos s'en mèle.

"La sua amata Claudia", c'est quand même autre chose que "sa petite copine Claudine" ! et puis la belle voiture rouge de Luca à droite de la photo...


Ce soir, la Slovénie, les Balkans donc.

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Tout d'abord toutes mes confuses pour les problèmes que certains ont rencontrés dernièrement pour accéder à ce blog. C'est a priori corrigé, dixit le service technique.

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En arrivant en Croatie par une petite route de montagne du sud de la Slovénie, je suis tombé devant un poste frontière d’un autre temps, avec un vrai contrôle par un douanier zélé et très peu avenant, un douanier quoi... il avait un visage sombre où brillaient des yeux lourds posés sur moi. Je le regardais aussi, fasciné, en ne pensant pas tout de suite à sortir mon passeport ce qui a eu l'air de méchamment l'agacer. Il m'a dit un truc en anglais du genre "where do you think you are !" Alors prendre mon appareil pour immortaliser la scène .... pas sûr que le gaillard aurait pris la pose !

Mais pourquoi, me suis-je demandé tout ébaubi, le passage de frontière de la Slovénie vers la Croatie est il plus compliqué que celui de l’Italie vers la Slovénie (voir photo ci contre), alors même que les 2 pays font parties de l’UE ?

Alors ...vous séchez ?

Et ben la réponse : la Slovénie a rejoint l’UE en 2004, et la Croatie en 2014, MAIS sans pouvoir faire encore partie de la zone Euro parce que Bruxelles leur reproche encore des trucs (contrôles frontaliers et lutte contre les trafics humains et la corruption insuffisants, tiens donc). L’année prochaine ça devrait être tout bon pour eux et mon douanier fera le kéké ailleurs, na !


Je continue à longer l’adriatique, un peu de mal à me décoller de la mer et des villages alentour. La lumière est belle, la chaleur est encore un peu là et il y a peu de monde. En fait tout est très calme, à part quelques touristes qui garnissent les petites plages de galets beiges et, le soir, les terrasses des derniers restaurants de la saison.


Pas évident de trouver des sujets intéressants à photographier, ce moment sans inspiration m’a rappelé Raymond Depardon lorsqu’il a été envoyé à NY par un journal qui lui demandait une photo par jour. Il s’est senti obligé d’inventer quelque chose, il marchait et il ne se passait rien, un peu comme moi aujourd’hui. Il appelait ça photographier « les temps faibles ».

Je me questionne sur le choix de préférer me balader dans les zones rurales. Ce n'est pas forcément une bonne idée, je m'emmerde un peu entre la banalité des paysages et la rareté des rencontres. A moins que je n'arrive pas à ralentir mon rythme intérieur, qui est une option très plausible !

J'en profite pour dormir et lire, l'Energie vagabonde de S Tesson m'accompagne (merci aux "drôles de dames" de Nouméa de me l'avoir offert, elles se reconnaitront).


Davantage dans les terres, je m’arrête au hasard dans des villages, regards un peu étonnés qui se demandent ce que je viens faire là, mais jamais méchants, juste prudemment accueillants.

Discusion matinale avec ces 3 petits vieux slovènes qui cumulent, si j'ai bien calculé, 285 ans (et non, ceux à droite qui ont les yeux fermés ne sont pas morts 😉 Roooo je suis méchant !!!)


Et puis parfois des surprises au milieu de nulle part comme cette maison dont j'aurais bien voulu voir le propriétaire tant ses abords tranchent sur l'austérité croate ambiante.

Mošćenička Draga 

Arrivé à Split ce matin, qui abrite le fameux palais de l'empereur Dioclétien. Apperçu la ville du haut de la montagne, où Jupiter semble vouloir m'accueillir avec un orage impressionnant, wahou ils font les choses en grand à Split ! (et je cherche toujours un jeu de mots avec ce drôle de nom ...)



En attendant, je prends possession de ma chambre dans cette vieille maison qu'Alberta a hérité de ses grands parents. Mélange de styles ... plutôt étonnant mais sympathique. Je crois que je vais me sentir sous surveillance dans cette chambre toute byzantine !

A droite ma chambre ce soir à Split

Split sera la dernière ville de Croatie. Direction ensuite la Bosnie, Mostar ; ce nom que j'associe toujours à des images de guerre. J'espère bien les remplacer par autre chose !

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Ce village de l’ouest de la Bosnie mérite un post à lui tout seul.

Déjà parce qu’il a été le théâtre d’une guerre, d’un massacre en 93 et ça, je ne peux l’ignorer dès les premières minutes de mon arrivée ; impacts de balles sur de nombreux murs, bâtiments détruits laissés à l’abandon à deux pas du centre touristique et du vieux pont comme pour dire, c’est là, tout est encore bien présent mais on vit avec.

Le plongeoir a été construit pour remplacer les 10 ans d'absence du pont. C'est l'activité fétiche des mostariens

Ce fameux pont qui sépare la partie croate, donc catholique et la partie bosniaque, donc musulmane (j’ai appris que le terme Bosniaque fait référence à la religion musulmane, quand on veut parler des habitants de la Bosnie dans leur ensemble on les appelle les Bosniens). Il a été détruit en 93 par les Croates.


Aujourd’hui, 20 ans après sa reconstruction à l’identique, il est censé symboliser le fameux « vivre ensemble » entre les deux communautés (tiens tiens, ça me rappelle quelque chose...).

En vrai, ça ne m'a pas sauté aux yeux, il y a une énergie dans cette ville, c’est évident, mais très cloisonnée.

Sur la rive est, dans les quartiers bosniaques, il y a de vieilles demeures ottomanes et des grandes batisses de style austro-hongrois, où on flotte plutôt dans le passé. Le vieux pont en est le symbole, mais pas qu'un symbole puiqu'il fait quand même venir des milliers de touriste chaque année qui viennent aussi humer l'air de ce qu’a été la guerre civile ici.

Ce que j’ai fait en visitant le « musée de la guerre et du génocide » dés le premier soir. Moral un peu plombé ensuite évidemment.

J’y ai vu le film du pilonnage du pont par les Croates, c’est impressionnant. Je vous l’ai retrouvé ici.

Destruction du pont de Motar en 93 


Sur la rive ouest de la rivière, territoire croate jalonné de HLM de l’époque de Tito, c’est tout autre chose. Des cafés modernes et une ribambelle de banques apparues depuis la fin de la guerre, les gens semblent habiter une autre ville. Je parle avec une femme de mon âge, bien mise, qui me dit «c'est un symbole de l'occupation turque» en parlant du vieux pont. Elle me confie n’avoir jamais traversé la rivière depuis la fin des combats.

Voilà, juste une impression légèrement schizophrénique de cet endroit (forcément subjective, je ne suis resté que 3 jours). Mais peut être que les élections bosniennes ce dimanche ajoutent à cette tension.


Direction Sarajevo !

PS: je suis assez fier du titre de ce post (et j’ai cherché, personne ne l’avait fait avant, il est donc vraiment pourri 😊)

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J’écris ces lignes alors que j’en suis déjà parti et je me sens délesté d’un poids invisible.

Difficile d’expliquer pourquoi, car c'est une ville très agréable. J’ai résidé chez Salid en plein quartier turc, dans un petit appartement biscornu au sommet d’un vieil immeuble un peu délabré. Très belle vue centrale.

A gauche, vue de ma fenêtre, juste à côté de la rivière Miljacka  

Sarajevo ressemble à un gros bourg entouré de collines. Les fameuses collines où s’installent les forces serbes pendant la guerre civile, quatre longues années de cauchemar pour les habitants. Les serbes ne font pas dans la dentelle. Des snippers qui terrorisent le quotidien des habitants et plus de 300 obus par jour qui pleuvent sur les habitations, les écoles, les hôpitaux.

Mais la ville a tenu bon.

Ne pensez pas que je me réjouisse à vous parler de guerre à chaque post, mais parler de Sarajevo sans évoquer les images si présentes dans les lieux publics et l’inconscient collectif d’une ville délabrée, c'est le boulot des agences touristiques.

Photo au centre : l'europe sert de cible aux parties nationalistes 


La majorité musulmane explique les 210 mosquées. Pourquoi autant ? Parce qu’il y a beaucoup d’habitants sur les collines, or un bon musulman doit prier cinq fois par jour. C’est donc une question pratique, pour éviter de passer son temps à descendre puis monter la colline !



La mixité se retrouve également dans l’architecture. La ville a appartenu à l’empire Ottoman durant quatre siècles, puis à l’empire Austro-Hongrois pendant quarante ans. Les habitants retiennent que les Austro-Hongrois ont plus fait avancer la ville en quarante ans que les Ottomans en quatre cents ans : de larges rues, de beaux immeubles, l’électricité, le tramway…

L’académie des Beaux-Arts et son pont à looping intégré 


Et puis dimanche c’était donc les élections. L’attente est forte car c'est quand même un sérieux bordel depuis les accords de Dayton en 95. Certes la paix est revenue mais personne n’est satisfait avec ce triptyque de chefs et de partis, SDA (Bosniaques), SNSD (Serbes) et HDZ (Croates) qui entretiennent les divisions et les ethnonationalismes pour exister chacun au détriment des autres.

C'est pas la foule au bureau de vote, dimanche

Au final lundi matin, un pâle soleil se lève sur la ville et rien n’a changé vraiment, abstention record, les mêmes dinosaures semblent se maintenir inexorablement dans une destinée qui échappe à tout le monde.

Je crois que c’est ça qui est pesant. Sentir une ville qui ne croit plus en son avenir au sein d'un pays qui se dépeuple.

C’est bien dommage, car il y a un vrai potentiel touristique qui aiderait cette attachante population à sortir la tête de l’eau et de son chômage à 40 %.



Réveil au matin du départ : cou bloqué et conjonctivite à l'oeil gauche. Mais je garde le droit pour la route, bien ouvert !

(et je souris en lisant ça : "les personnes qui souffrent de torticolis ont de la difficulté à changer leur regard sur les choses, sur la vie, sur ceux qui les entourent. Elles n’arrivent pas à être sincères avec elles-mêmes")

Finalement je change de cap, direction le Montenegro, je passerai peut être en Serbie plus tard, pas l'envie pour l'instant.



(*) Au-delà de sa dimension comique indéniable (!), ce titre tente assez péniblement de remplir un pari avec une personne qui se reconnaitra 😉 (mais pas sûr que je tienne longtemps, ah ça vous rassure, hein !)

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J'ai quitté Sarajevo, croisé un dernier hotel qui raconte l'activité qui devait régner dans sa banlieue, et pointe vers l'est, vers les montagnes.


Quatre heures de route, quelques bons podcasts avec moi et une belle envie d'avancer.


Et puis ça y est. Il a dû se passer quelque chose là, entre Sarajevo et Zabljac.

Le temps est devenu extrêmement savoureux. Rien d’extraordinaire, juste l'évidence d'être là où je dois être. Peut être le signe que le voyage a vraiment commencé.

Le temps qui file et qui ne se ressent pas, le temps est immédiatement mouvement, espace.

Arrivée à Zabljac au Montenegro par la montagne du nord 

La route pour atteindre ce petit village du Montenegro était un enchantement, petits lacets étroits le long des façades rocheuses, vue extraordinaire au détour de chaque virage.

J’ai béni ma tite Pigeotte, étroite et agile, même lors de méchants croisements avec des camions, au bord de précipices où mon vieux Roger n’aurait pas fait le malin. Non, je vais finir par ne plus le regretter du tout, peut être bien que ma mésaventure du début n’en fût pas une, juste un signe. Paix à ses durites.

Douane franchie à 1500 mètres d’altitude. Le froid me saisit un peu en sortant expliquer que non je n’ai pas de carte grise en papier, elle est sur mon smartphone, il a dû sentir que je ne comptais pas faire demi tour et a tamponné mon passeport un peu résigné.


Fin d'après midi, j’arrive donc péniblement chez Bogdan, l'endroit n'étant pas cartographié par le GPS.

Bogdan a 26 ans, il habite dans la ferme de ses parents, avec sa sœur Ljubica, ses tantes et oncles, ses petits neveux de 7 et 11 ans, le plus jeune, Mirko, armé d’une splendide mitraillette rouge et bleue.



Bogdan est le seul qui parle anglais. Sa maman m’accueille et je vois dans son sourire une vraie sincérité teintée d’une imperceptible peur de mal faire.

Elle est pourtant incroyable de prévenance, veille sur tout, tout le temps. A l’heure de dîner je vois débouler tout le monde s’assoir près du poêle de la pièce principale, revenant de la ville, de l’étable, de l’école.

Odeur de lait caillé qui me rappelle instantanément mes vacances, enfant, dans la maison de famille en Bourgogne.

J’ai aimé ces présences, cette chaleur familiale simple, ces regards où on se demande parfois si on se comprend bien, mais est-ce là l’important ?

Le lendemain j’ai aidé Ljubica à nettoyer la porcherie avant d’aller me perdre trois heures dans la forêt d'épicéas plus loin.

Je n’ai pas eu le cœur à les photographier pour ne rien briser de ces moments.


Sauf ce cochon, même si je sens une pointe de contrariété dans son regard !

Je l'ai traduit pour vous du Serbe : "il y aura du bonheur tant que tu y seras. C'est ma ville, c'est là que je t'ai rencontré"
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Mercredi, direction le sud du Montenegro, l'adriatique à nouveau. Je décide de me jeter dans les bouches de Kotor.

Enorme baie, sorte de fjord, encadré par les derniers sommets des Alpes dinariques, géographie incroyable.

L'histoire de cette petite ville, Kotor, est tout aussi folle ; d’abord romaine, puis vénitienne et hongroise, puis indépendante, de nouveau vénitienne, puis occupée par les turcs, puis par la France, puis par les autrichiens, puis incorporée au royaume des Serbes et consorts en Yougoslavie jusqu’en 2003.... et aujourd’hui, Kotor fait partie du Monténégro, qui est devenu indépendant en 2006. Ouf !!!

Ah si un dernier truc dingue : l’euro est utilisé dans le pays alors qu’il n'est pas encore intégré à l'UE ... là je vous avoue ne pas avoir compris comment c’est possible alors que la Serbie dont le Montenegro faisait partie à l’époque utilisait (et utilise toujours) le dinar serbe..

Bref le Montenegro est le sujet sur lequel il ne faut pas tomber au bac d'histoire !


Je fais connaissance avec Branislav, marin, qui habite seul cette grande maison au bord de la mer. Il me raconte l'histoire de sa famille qui habite ici depuis toujours. Regard bleu pétillant, stature impressionnante, il m'inspire confiance et respect.

De ma chambre, j’entends les sirènes d’un énorme paquebot, ce bruit si particulier, mat, long et profond. Cela me fait penser aux images des grands départs, de ceux qui quittaient un continent pour changer de vie. Les adieux, le dernier regard, le dernier sourire vers ce qui a été, et l’espoir d’une nouvelle vie.

Je décide de rester une nuit de plus dans cet endroit, je m'y sens vraiment bien.

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Et, juste avant de quitter le pays, au hasard d’un RV dans une marina, comme pour me dire tss tss attends tu n'as pas tout vu, je découvre « Lustica Bay »....

De loin un joli village historique du bord de mer !

Bienvenue dans le monde merveilleux de Lustica Bay

De près, un ensemble immobiliser entièrement nouveau bâti de rien, barricadé (j’ai dû m’identifier pour entrer, en laissant ma voiture à 1km), aseptisé, normé, ultra contrôlé, organisé à l’extrême...

Autant vous dire que ce genre d’endroit sans histoire (au propre comme au figuré) n’est pas ma tasse de thé. Peut être parce que je préfère les vieux trucs, la patine.

En tout cas on est loin de l’ambiance de cette comédie suédoise des années 80 : Montenegro, que je vous recommande (merci Carole J pour le clin d'oeil).


Mais si ça vous fait kiffer (la page d’accueil du site vous mettra tout de suite dans l’ambiance : https://www.lusticabay.com), do not hesitate, j'y retournerai pour vous ... 😊

C’est donc ça aussi le Montenegro et sans doute mille autres choses, mais je tourne maintenant la page vers celle de l'Albanie.

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Impatient de sentir le pouls de Shkodër, renifler cette ville de l'ouest de l'Albanie.

Je me pose dans une rue piétonne, bien achalandée en cette fin d’après midi. Je suis frappé par la moyenne d’âge, beaucoup de jeunes gens, looks plutôt branchés, qui déambulent devant les vitrines ou leur smartphone. Scène occidentale par excellence.

Et puis d’un coup, la voix du muezzin se fait entendre depuis un minaret que je n’avais pas vu, juste derrière. On ne s’entend plus. Les conversations s’interrompent le temps que la prière se termine.

Je file faire un tour dans le marché d’à côté, en repars avec une réserve de kritsinia (sortes de gressins aux graines, délicieux), un kilo de prunes et trois kilos de sourires.

Tirana, pas loin de la place Skanderbeg 


Les gens ont l’air serein et bien dans leurs pompes, en Albanie.

C’est ma première impression.

Mais ça me semble un peu trop rapide quand même.


Dalmat, rencontré sur la route puis Nensi, mon hôte à Tirana, m’en diront un peu plus. Ils me parlent du sentiment des moins de 30 ans de ne pas avoir la place qu’ils estiment mériter. Les « vieux » sont passés du communisme au libéralisme de manière radicale et la tête leur tourne un peu.

Oui c’est ça, l’image d’un pays un peu enivré par l’économie de marché toute récente, mal dissoute dans la corruption et la paranoïa issues de 40 ans de règne de ce fameux Hoxha.

Enver Hoxha ... derrière ce joli nom se cache un dictateur et un malade (oui ça va souvent de pair). Comme pour d’autres pays de la région, l’invasion fasciste pendant la guerre a suscité les sentiments nationalistes, la résistance, le communisme et quelques vocations. Dont celle d’Hoxha, pur stalinien, qui prend le pouvoir en 46 et ne l’a jamais lâché.

United colors of Tirana 

Ce pays a vécu dans une paranoïa folle. Ce con d'Oxha s’est fâché avec la terre entière. D’abord les russes à qui il reproche d’être de faux communistes (fallait oser), le gars reste encore un moment ami avec les Chinois, avant de se brouiller à nouveau. Là il se demande s’il n’a pas poussé le bouchon un peu trop loin, imagine qu’il va être assailli de toutes parts et décide de faire construite 180 000 bunkers en béton pour se défendre en cas d’attaque soviétique. Un pour 11 habitants.

Résultat, le pays se replie totalement sur lui-même, façon Corée du Nord, bloquant ses frontières et s’appauvrissant doucement.

Tout le monde surveille tout le monde !

Il y a 3 jours, j’ai été interpelé assez durement par le gardien d’un bâtiment administratif qui ne voulait pas que je rentre avec mon appareil photo. Je n’avais pas forcément l’intention de faire des images mais je lui ai tenu tête pour voir, pour comprendre ses arguments. Ca s’est terminé dans le bureau du directeur que j’ai senti embarrassé de dire à son sbire que non il n’y a avait pas de risque d’espionnage. Et je précise que ce n’était pas le ministère de la défense, mais le centre culturel italien...


Je pense au grand père de Nensi (en photo) qui a été emprisonné 5 ans. Sa faute ? Avoir dit à sa femme (et pas suffisamment doucement pour que des oreilles malintentionnées entendent) que sa ration de pain hebdomadaire sentait le moisi. Ahrg mais tu n’es pas un kamarade du parti, toi, ouste au cachot !

Ne jamais dire du mal de rien, une immense majorité des appartements (tous conçus et meublés à l’identique) étaient sur écoute.

J’avoue n'avoir jamais pris conscience à ce point de la réalité quotidienne du communisme.


Il y a autre chose qui fait des Albanais un peuple qui revient de loin. Pendant l’occupation turque (encore eux, il va falloir que je me fasse un lavage de cerveau avant d’aller d’y aller), il était interdit de parler ou d’écrire l’albanais, donc du XVè siècle jusqu’à l’indépendance du pays en 1912.

Ne pas pouvoir écrire ni parler le français pendant 5 siècles ! Imaginez le résultat sur la circulation des idées, la transmission de l’histoire, des valeurs du pays...

Des Roms en Albanie, le racisme est assez présent 

C’est l’histoire de l’Albanie.

C’est un miracle que la langue n’ait pas disparu après cette asphyxie, mais l’identité albanaise en a pris un coup. D’où, peut être cette énergie un peu débridée de ceux qui ont eu la gueule de bois pendant des années et qui, d’un coup, réalisent, respirent, avancent.


Cette énergie palpable dans leurs gestes déterminés, dans les couleurs de la ville : passages piétons multicolores, façades des immeubles bariolées ...

J’ai sillonné la ville en tout sens sans aucun but précis. C’est génial en fait de ne pas savoir où on va, dès qu’on en accepte l’idée.

Et qu'on accepte aussi de trouver porte close devant le musée d’histoire, en travaux. Je me photographie, un peu déçu, devant la vitre opaque (Et ben ouiiii je fais des économies de rasoir ... et de temps le matin !).

Bon quand même quelques incontournables dont je peux dire un mot : la Maison des Feuilles. Il s’agit d’un bâtiment sinistre, caché derrière de grands arbres, qui abritait le siège du Sigurimi durant la sale période. Sigurimi, encore un mot guilleret pour décrire la police des mises sur écoute, tortures et autres joyeusetés. Le musée met en lumière le difficile travail d’ouverture des archives et de prise de recul, qui débouchera peut-être un jour sur un grand procès.

La vie dans le Bunk'Art, un charme très particulier ...

Puis, avec un gros pull, suis parti visiter le Bunk’Art. Il s’agit d’un des deux anciens bunkers version XXL destinés à protéger les dirigeants en cas d’attaque, transformés depuis en musées. Impressionnant, avec ses couloirs sombres, ses bureaux conservés en l’état, un vaste auditorium et une bande sonore oppressante à souhait. Dans l’une des pièces, un lâcher de (faux) gaz moutarde glace le sang. Brrrrrr…l’ambiance de ce frigo de béton est oppressante !

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J’écris ces dernières lignes avec un taux d’alcool qui ne me permettrait surement pas de conduire. N’allez pas imaginer que, dépité, je noie mon chagrin, non non je me réchauffe en me pliant aux coutumes de bienvenues locales ... et je peux vous dire que dans ce village à la frontière avec la Macédoine, et ben y a un ptit alcool du terroir, tralala itou ....

Enfin, pour mettre un peu de baume sur l'histoire de ce petit pays grand comme la Bretagne, vous pouvez écouter Shkëlzen Doli, grand violoniste albanais que m'a fait connaitre Nensi. Ce morceau est presque l'hymne nationale pour les gens ici.



A propos de symboles, l'aigle à deux têtes qu’on trouve sur le drapeau rouge albanais !? Il marque la division entre les chrétiens catholique et ceux de tradition orthodoxe.



Je quitte l'Albanie ce matin, avec un mélange de joie de la rencontre et de compassion pour ce peuple courageux.

Sus à la Macédoine, que j'apperçois de l'autre côté du lac d'Ohrid.

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Tout s'annonçait bien, je la voyais de l'autre côté du lac.

C'était l'automne, un automne où il fait beau, une saison qui n'existe que dans le Nord de l'Amérique. Là-bas on l'appelle l'été indien.


Et je me souviens, je me souviens très bien ... de ce que le douanier m'a dit ce matin-là quand je lui ai tendu les papiers de la voiture sur mon smartphone : Original dokument for ze renting car !!!

Histoire sans parole 

Je ne verrai donc pas le pays dont l'emblème est le soleil, la nature et la liberté.

Qu'à cela ne tienne, ma pigeotte et moi, on a tourné le dos à ce douanier rétif, déplié la grande carte Michelin de l'Europe et décidé de contourner l'obstacle vers le sud : allons donc nous faire voir chez les Grecs, en chantonnant du Joe Dassin !

Et ça tombe bien car la Grèce fait partie de l'UE, détail administratif qui fait la différence.

Pour la petite histoire, qui explique les relations tendues entre les deux pays : la Macédoine a déposé sa candidature d'adhésion en 2004, mais le dossier patine, principalement en raison d’un litige sur le nom du pays, qui dure depuis 1992. La Grèce, dont l’une des régions s’appelle aussi Macédoine, estime que le nom du pays porte une revendication territoriale sur sa province du même nom. Officiellement, le pays est appelé “Ancienne République yougoslave de Macédoine” par l’Union européenne jusqu’en 2018.

Et comme une bonne nouvelle n'arrive jamais seule, je découvre que je ne suis pas loin de la voie Ignacia.

C'est une ancienne route romaine, la plus rapide reliant l'Italie à Constantinople (Istanbul) par laquelle se faisait tout le trafic commercial entre l'orient et l'occident. Je vais donc la longer, ou à peu près, sur toute la ligne indiquée en rouge sur le plan plus haut.

C'est devenu une route mythique et effectivement, je croise régulièrement quelques "pélerins" à vélo ou à pied.

Egalement quelques vestiges, comme ce vieux pont romain.

Le nord de la Grèce est calme. Très peu de voitures (prix de l'essence ?) et aucun touriste visible.


Même si il fait encore bon, la couleur et les odeurs de l'automne m'enveloppent doucement.

Je m'arrête dans de petits villages où il n'est pas facile de trouver où dormir ni même à manger. Les gens parlent plus facilement allemand qu'anglais (mais mon cher ami Ralf n'est pas là pour m'aider). Un soir, dans une petite taverne, en essayant de comprendre le menu en cyrillique, je tombe par hasard sur un couple d'Australiens. Lui est originaire de la région, ils y viennent régulièrement. On se félicite de cette rencontre "pacifique".

C'est amusant comme la distance avec nos lieux habituels nous rapproche si facilement de ceux qui en sont, lorsque nous les croisons à des milliers de kilomètres .

Je roule avec grand plaisir dans cette campagne vallonée. J'apperçois de loin le mont Olympe, mais décide d'y revenir plus tard, au retour.

Et pourtant le hasard des podcast me ramène à la mythologie. Une série d'émissions sur Nietzsche qui évoque les deux sensibilités apollinienne et dionysiaque, dans son livre Naissance de la Tragédie.

L'équilibre entre ces deux polarités. D'un côté l'ordre, la mesure, la maîtrise de soi, c'est Apollon. Et de l'autre un certain esprit grégaire, sensible, un peu fougueux : Dionysos. Deux visions du monde, contraires mais pas contradictoires.

Je vous promets que ces petits cours de philosophie en plein air, en pleine conscience, ont quelque chose de magique.


Ce n'est sans doute pas la vocation d'un blog de voyage de faire du prosélytisme, mais je dois vous avouer mon admiration sans borne pour Géraldine Muhlmann, l'animatrice de la série "avec philosophie" sur France Culture.

De la route à faire ? Une heure à tuer ? Podcastez ici !!


Je me dirige vers le nord, la Bulgarie.

Tant pis pour la Madédoine, ce nom continuera de rester pour moi cette délicieuse salade de légumes..

Elle m'aura aussi permis de vivre la première expérience de refus d'entrer dans un pays. Et d'être conscient de la chance que nous avons en tant qu'Européen, aujourd'hui, de pouvoir voyager pratiquement partout.



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Nous voilà à Sofia depuis 2 jours. Je dis "nous" car les péripéties avec la Pigeotte créent des liens, c'est grave docteur ?

Petite appréhension à nouveau quand j'ai vu la tête du douanier. Mais non, vive le bon sens bulgare : un simple contrôle du numéro de chassis de la voiture, et zou welcome in Bulgaria !


C'est le week end, jours de marché au "Zhenski Pazar", le bazar des Femmes. C'est le plus grand et le plus vieux marché de la ville.

Le ventre de Sofia.

Je me suis régalé, les papilles, le nez et les yeux.

Je vous partage, pour terminer ce poste, quelques produits de ma récolte du jour, fraicheur garantie !

Grand marché de Sofia, ce matin (1) 

J'étais le seul étranger. Sentiment d'avoir de la chance d'être ainsi immergé et en même temps plus difficile de passer complètement inaperçu. Je ne demandais pas la permission de prendre des photos, elles sont toutes, quasimment, "volées". Je pense qu'on ne fait pas les mêmes photos quand on se manifeste avant la prise de vue.

Je crois qu'une bonne photo c'est presque toujours une photo volée.

Grand marché de Sofia, ce matin (2) 


Je quitte Sofia lundi pour le reste de ce beau pays.

Merci de vos messages, ils me sont chers. A bientôt.

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Depuis Sofia, direction vers l’est, tranquillement.

Des villes, des villages parmi les plus anciens d’europe.

Plovdiv, ce nom sonne froid, maussade, c’est pourtant une ville charmante et vivante qui mélange les influences thraces, gréco-romaines, ottomanes et slaves. Elle semble avoir moins souffert que Sofia de la démesure architecturale pendant l’URSS. La vieille ville, avec ses rues pavées et ses maisons colorées, est restée très authentique.

D’une manière générale en Bulgarie, je ressens moins le poids du passé communiste et musulman. les bulgares semblent plus « émancipés », que leurs voisins des Balkans.

Car il semble que la Renaissance bulgare au 19è (insurrection contre l'Empire ottoman) est une période qui a profondément ancré une identité nationale.

Cette révolution a a été un massacre au début. Dû en particulier à, devinez qui ....? Bachi-bouzouk ! himself, ses troupes ont brutalement écrasé les Bulgares provoquant la condamnation d'intellectuels occidentaux (dont V Hugo) des atrocités et de l'oppression du peuple bulgare.

(et c'est là que je me dis que sans ce voyage, j'aurais continué à vivre dans une ignorance crasse des insultes du capitaine Haddock 😉 !)



Un parallèle presque troublant avec l’actualité : lors de la révolte des Bulgares contre la présence Turque, en 1878, c’est finalement la Russie qui est venue aider la Bulgarie à se défaire de la domination ottomane. Ce qui lui a assuré le libre-accès aux détroits du Bosphore et des Dardanelles.


Hier la Russie joue les sauveurs contre les Turcs et aujourd’hui c’est ce cher Erdogan qui se rachète une conduite en faisant l’arbitre dans le conflit actuel avec Poutine sur les céréaliers ukrainiens.

Partie de poker sans fin.



Et la mer noire donc ...

Alors là je dois vous faire un aveu (le 2nd, c'est le post des confidences) ; je pensais que la mer noire était une mer fermée... Mes profs d’histoire géo peuvent à juste titre se retourner dans leur lit ou leur tombe, je viens de comprendre le sens géopolitique de l’annexion de la Crimée en 2014 et l’acharnement de Poutine à obtenir l’accès au port d’Odessa : de la mer noire en traversant le Bosphore, on accède à la mer de Marmara, puis à la mer Egée et enfin la méditerranée, CQFD ! Bon ok, je vais au coin !

Pêcheurs à Burgas 


Arrêt quelques jours à Sozopol, au bord de la mer noire. J’apprends qu’elle a été fondée par les grecs il y 2600 ans en l’honneur d’Apollon. Apollonia, telle qu'elle s'appelait alors, était la plus grande et la plus riche des villes de la côte.

Sozopol et Burgas, au bord de la mer noire 


L’arrivée du christianisme romain lui fit perdre son joli nom, elle deviendra la ville du Salut, Sozopol donc. Elle devint ensuite le principal port du pays.


La statue d’Apollon n’était plus là (emportée par les romains), en revanche j’y ai trouvé une intéressante exposition de sculpteurs locaux, au bord de l’eau.

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D'Istanbul, j’ai d’abord envie de vous parler du bain. Les fameux bains turcs.

Pas une motivation énorme a priori, mais la curiosité l’emporte.

Le bâtiment est ancien, les vestiaires, tout en bois, sont à l’étage. On m’a remis un gant de crin et un peshkir (serviette turque). Je monte et là un homme me prend la main. Sans ambiguïté, de manière chaleureuse, presque paternelle et me conduit dans une petite pièce où il me fait signe de me dévêtir et de nouer le peshkir autour de la taille. Je m’exécute, sors et descends vers la salle des bains.


Un autre homme est présent à l’entrée du hammam. Il est grand, efflanqué, le dos un peu courbé. Il semble habiter cet endroit depuis toujours tant sa peau est claire, diaphane presque, lavée par le temps et l’écoulement de l’eau.


La pièce est impressionnante. Tout en marbre. J’ai pris mes lunettes, réflexe inutile car embuées, elles ne me servent à rien. La vapeur règne, percée par de pales rayons de lumières depuis les trous du dôme qui coiffe le lieu. Je m’allonge sur un des côtés de l’immense table de marbre.


Tous mes sens en éveil dans un silence à peine brisé par le ploc de l’eau des robinets mal fermés, le bruit des récipients en fer blanc sur la pierre ou les mots en turc murmurés par d’autres hommes.


Mon laveur masseur arrive. Il me prend par l’épaule et m’invite à m’allonger sur le dos. Il m’arrose et me frotte vigoureusement avec le gant de crin. Ses gestes sont justes et précis. Sensation régressive de me sentir comme un enfant. Il me retourne sur le ventre et me sable les jambes, le dos, les épaules. Je l’entends rigoler, il me montre les petits rouleaux de peau morte ; oui je ne suis pas un habitué, mais il devait s’en douter !

Photos du lieu de cette fameuse expérience ! (piquées sur le net)

Séquence rinçage à coup de gerbes d’eau balancées avec la gamelle. Je reste là quelques instants, trempé avec l’impression de faire corps avec ce lieu où tout coule, ruisselle, fait des flics, des flocs et des flaques.


Et puis arrive le moment du massage. Il s’approche avec un seau en cuivre. Y trempe une grosse guenille qu’il balance de gauche à droite et qui forme, comme par magie, une mousse abondante. Il la verse sur mon corps et mes cheveux. Je sens cette odeur que j’adore, savon d’Alep ou savon noir je ne sais pas, mais ce moment fut très agréable.

Assez physique aussi quand il appuit ses doigts fortement sur certains endroits du dos, du ventre ou des épaules.


Ca fait un moment que j’ai les yeux fermés. Je réalise et savoure l’état de total lâcher prise dans lequel je suis. Je pourrais rester des heures dans cette atmosphère réconfortante, presque fœtale.


Il me rassied pour le rinçage, et me couvre ensuite dans une serviette chaude.

Lessivé et rincé dans tous les sens des termes ; touché aussi par cette fraternité naturelle à laquelle je ne suis pas habitué.

Presqu’une heure s’est écoulée, je vais prendre le thé qui m’attend dans la salle d’à côté.


La pluie est là ce matin, première fois depuis plus d'un mois.

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Dernière étape de mon voyage. Je n'irai pas plus loin qu'Istanbul, du moins cette fois-ci.

Alors je profite de ces derniers jours pour flâner dans les différents quartiers, certains assez austères où je me demande ce que ces femmes pensent des iraniennes, à quelques encablures de là. Envient-elles leur courage ?

D'autres plus romantiques que je ne l’imaginais. Surtout le quartier Kabatas, où a eu lieu l’explosion tout près de là où je résidais, une rue très animée. J’ai quitté Istanbul quelques jours avant l’attentat.


Récupéré ma pigeotte près de la frontière, puis j’ai gagné la Grèce par de petits lacets montagneux. La tranquillité qui y règne contraste avec Istanbul, foisonnante.

D'autres rencontres, plus silencieuses mais non moins sympathiques.

Cette chèvre avec son regard de braise ne voulait plus sortir de ma voiture ... 😉


Le nord de la Grèce affiche pas mal de mosquées, je suis étonné car l’islam représente aujourd’hui moins de 5% des habitants. Mais je découvre que l’influence turque est toujours forte dans le nord du pays, resté sous leur domination pendant près d'un siècle après la guerre d'indépendance (1832).


Les rapports entre les grecs et l’envahisseur ottoman me semblent bien plus complexes et nuancés que pour les autres pays des Balkans.

Car oui il y a bien eu une volonté nationaliste forte en Grèce, mais la bourgeoisie de l’époque, urbaine et cosmopolite, ne semblait pas forcément attirée par cette forme "réductrice" de nation grecque, relativement pauvre et dominée par les autres pays.

Je comprends que ces Grecs là refusent l’idéologie qui pousse les nationalistes à renouer avec les valeurs de la Grèce antique. Ils s’identifiaient bien plus à Byzance qu’à Périclès !

S’est alors construit l’idée d’une identité gréco-turque, où les grandes familles Rum ont pris une place prépondérante dans la vie politique impériale. Cela permettait de conserver la place centrale de Constantinople (alors qu’Athènes en comparaison n’est qu’un village !)


Bref tout ce petit monde un peu dispersé a bien fini par se retrouver dans un même territoire, grace à la fameuse « Grande idée » à l’issue de la 1ère guerre mondiale : près d’un million et demi d’orthodoxes "échangés" contre un demi-million de musulmans !

Les grecs appellent ça la Grande Catastrophe.

Avec l'accord des deux gouvernements, un échange colossal de population s'est produit entre les deux peuples. Les grecs d'Istanbul et d'Asie Mineure ont quitté de force la Turquie et sont venus en Grèce.

Cette crise de réfugiés est à l'origine d'un style de musique : le "Rebetiko", que j'ai entendu un soir dans une taverne grecque. Mélange de mélancolie de ceux qui quittent leur lieu de vie et d'espoir que les choses puissent s'améliorer un jour.

On y sent l’influence ottomane. Je retrouve le morceau sur internet et vous le partage :




Cette histoire complexe avec les turcs a laissé des traces, même en cuisine : la Moussaka n’est pas grecque ! et même le plat national (la Fasolada) vient des Ottomans. Apparemment aussi pour l'Ouzo ou le Raki, pffff tout fout le camp ...

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De plus en plus, au fil du voyage, des images et des expériences, il me semblait que je comprenais un peu ce qui avait pu se jouer dans l’histoire des peuples des Balkans.

Aujourd’hui où ce court séjour touche à sa fin, j’ai l’impression un peu frustrante de n’en avoir compris qu’une infime partie. Et qu’il est vain de tenter des conclusions forcément hâtives et générales, que des aventures humaines ne peuvent pas se réduire à des histoires d’ethnies ou de religion.


Passage par la Bulgarie et arrêt obligé au Barbershop.






J’ai toujours eu une attirance pour les endroits abandonnés, désertés.

Ici un bâtiment tout droit sorti de l'ère soviétique des années 70 et 80, traversé d'une belle lumière de fin d'après midi.

Son classicisme prétentieux m'a immédiatement fait penser au film "The Grand Budapest Hotel", cette comédie délirante avec Bill Muray.


Et puis retour par le sud de l'Italie où les bonnes soeurs remplacent gaiement les popes et les imams !

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L'ultime étape de ce voyage est bourguignonne.

Je m’arrête dans le village où j’ai laissé de nombreux souvenirs, enfant et ado. Me promène avec ma sœur Catherine, venue me retrouver, sous un ciel blanc ; qu'il est agréable de parler du présent dans ce jardin de notre enfance où le temps du passé semble avoir été figé dans les allées et le bruissement des arbres centenaires.


Inès, ma nièce, m’a demandé lors d’un récent déjeuner de famille, ce que j’ai retenu de ce voyage.

J’ai eu le sentiment d’avoir été un peu dans la fuite, pas une fuite désespérée mais dans une volonté de me retrouver avec moi-même.

De ne rien attendre des routes que j’empruntais, ni des gens. D’être juste là et de m’y sentir à ma place, lié sans aucune entrave au mouvement permanent autour de moi. Essayant simplement de voir et de ressentir plutôt que de croire ou de penser.


C’est déjà loin maintenant que je suis dans la grisaille parisienne et je mesure déjà, alors que ces sensations m’échappent, ce qu’elles ont eu d’important. Et d'addictif.


Je vous remercie mes amis, mes proches, d’avoir partagé à distance ce petit voyage. Je n'aurais peut être pas tenu ce blog si je n'avais pas senti votre présence, même discrète.

A bientôt !

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dans un bus d'Istanbul, il y a quelques semaines